Rencontre avec Chantal Spitz écrivaine majeure de Polynésie
De
sa double origine, tahitienne et occidentale, Chantal Spitz, née à
Pape'ete en 1954, tire une force souveraine qui s’exprime par une
parole fière dans des textes engagés, poétiquement et politiquement.
C'est une voix majeure de la Polynésie que nous avons rencontré pour
ce magazine intitulé "Chantal Spitz en terre d'enfance"
Par Christian Tortel
Le verbe haut de Chantal Spitz exprime la douleur ancienne d’un
peuple aux prises avec une « histoire coloniale », dont l’expression
mélancolique est la marque littéraire la plus évidente.
Très ouverte sur l’hémisphère pacifique qui l’environne, Chantal
Spitz n’a cessé de lutter contre l’emprise des clichés et des idées
reçues sur la Polynésie (voir sa critique des textes de Pierre Loti,
que l’on retrouve dans le documentaire en ligne).
Elle est considérée comme l’auteur du premier roman tahitien dont le
titre refuse toute concession, L'île des rêves écrasés, d’abord
édité en 1991 puis réédité en 2003 par son éditeur actuel, Au vent
des îles.
Un roman du dévoilement qui lui a même valu quelque inimitié dans
l’archipel.
Depuis ce livre jusqu’à sa direction de la revue littéraire
Littérama'ohi, Chantal Spitz s’est aussi attachée à un travail sur
la langue, dont témoigne son dernier roman, écrit au cours de sept
années de travail, Elles, Terre d’enfance, roman à deux encres. Un
travail où s’exprime une langue poétique, réflexive, imprégnée de
mots tahitiens, dans un français au souffle puissant. Là est sa
singularité, comme le montre le documentaire que nous lui
consacrons, tourné en avril et mai 2011 lors de la promotion de son
livre en Europe.
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C'est bientôt
Chantal
SPITZ sera à la Médiathèque de GESTEL (56) ce mardi 24 Juin 2014
pour une rencontre à 18H30, autour des ses 4 livres
et le
vendredi 27 Juin 2014 à la Librairie des Voyageurs , 14 rue
Boussingault à Brest (29), pour une discussion dans la librairie
à partir de 17H
pour
plus de précisions Caroline TROIN 06 66 22 38 96
Chantal T. Spitz est née le 18 novembre 1954 à Pape'ete (Tahiti).
Élevée dans un univers occidental chez ses parents, elle est bercée
à la fois par le jazz, les chants grégoriens, Tino Rossi et les
chants traditionnels du Tiurai [1]. Sa famille maternelle l'enracine
dans la culture tahitienne. Dès l'obtention de son baccalauréat,
elle part à la rencontre de ses cousins du Pacifique sud. À son
retour, elle entre dans la vie active comme secrétaire, mais
rapidement elle se réoriente et choisit l'enseignement. Mère de
trois garçons, elle vit à Huahine (Iles sous le vents) sur le motu
[2] Maeva. En apparence loin de tout, elle demeure très à l'écoute
de ce monde aux multiples visages qui est le sien.
Son premier roman L'île des rêves écrasés, premier roman tahitien
publié, a été édité en 1991 aux Éditions de la plage (réédition en
2003 aux éditions Au vent des îles). Il a été salué en Polynésie
française comme un événement à une époque de renaissance culturelle
pour son écriture au rythme inspiré par l'oralité. L'île des rêves
écrasés est également le premier roman tahitien traduit en anglais.
Il est paru aux éditions Huia (Wellington, Te Aotearoa) sous le
titre de Island of Shattered Dreams dans une traduction de Jean
Anderson.
Brisant les habitudes, en colère contre tous les silences, Chantal
T. Spitz participe à l'aventure de la revue littéraire Littérama'ohi
débutée en 2001, dont l'un des objectifs est de faire connaître la
variété, la richesse et la spécificité des auteurs originaires de la
Polynésie française dans leur diversité contemporaine.
Tour à tour institutrice, conseillère pédagogique et conseillère
technique au Ministère de la Culture, aujourd'hui à la retraite,
elle milite depuis de nombreuses années contre un néo-colonialisme
insidieux fait de réécriture de l'histoire et de perpétuation d'un
mythe qui fige les Tahitiens dans une caricature de bon sauvage et
autres vahine lascives, permettant à chaque Autre de faire
l'économie d'une rencontre réelle avec un peuple tant écrit d'encres
occidentales.
Ses interventions dans de nombreux colloques à Tahiti, en Nouvelle
Calédonie à Palau en Australie à Fiji en Italie, ont interpellé par
ses textes politiquement incorrects dans un espace balisé par les
idées reçues.
En 2002, Chantal T. Spitz publie Hombo, transcription d'une
biographie aux éditions Te Ite, texte qui restitue le douloureux
témoignage de jeunes gens mis momentanément à l'écart de leur
village quand le mode de vie qu'ils avaient choisi était trop
étranger à la tradition.
Pensées insolentes et inutiles, recueil réunissant quelques
contributions à des colloques ou des revues et des écrits jusqu'ici
dormant dans des cahiers ou griffonnés de-ci de-là, paraît aux
éditions Te Ite en mai 2006.
Majeure est la référence à l'écrivain tahitien C.T. Spitz : l'œuvre
romanesque exigeante qu'elle élabore lentement, le travail original
qu'elle effectue sur la langue et sur les formes, la cohérence de la
vision qu'elle offre en font un artiste de premier plan dans le
domaine littéraire.
Dans la mesure où celui-ci ne s'inscrit pas dans une tradition
(l'écrivain extra-européen), dans une lignée familière ou supposée
bien connue des lecteurs européens, ils sont tenus à une fonction «
présentative » ou parfois à jouer le rôle pédagogique ou même
médiatique de « représentant » culturel. Or assurément, par la
radicalité de son propos, par son franc-parler corrosif, par son
refus de toute compromission, Chantal T. Spitz n'est pas «
représentative » des autres voix qui s'élèvent à Tahiti ou dans les
îles voisines. Mais cette absence de « représentativité » ne doit
pas s'entendre comme une limite ou un défaut ; bien au contraire, se
refusant à parler « pour » ou « au nom » de son peuple, elle exprime
en toute son acuité la singularité polynésienne. Loin d'être «
isolée » [3] – sinon certes au sens où tout insulaire peut l'être
par sa position géographique – menant une réflexion critique
radicale sur tous les sujets essentiels à la construction d'une
identité océanienne, elle fait entendre une voix libre et exemplaire
marquée par un sens aigu de l'indépendance, voire de l'insoumission,
par rapport au discours idéologico-politique ambiant.
Le propos de Chantal Spitz est aux antipodes de la sublimation
aveugle du passé qui placerait l'avenir du peuple polynésien dans un
retour à des temps mythiques. Dans un discours prononcé le 26 juin
2008 devant l'Assemblée de Polynésie [4], elle dénonce, avec le
lyrisme et la fermeté qui caractérise ses prises de parole,
le risque de tourner le mépris de nous-mêmes en conflits fratricides
le risque de succomber à la mythisation des origines la célébration
de racines imaginaires l'exaltation sectaire de la culture
traditionnelle
le risque de substituer à la mythologie forgée par le colonisateur
une contre-mythologie « un mythe positif de [nous]-mêmes » [5]
nous engageant à notre tour sur le chemin d'une nouvelle
désidentification
nous sommes là pour un espoir une histoire une mémoire
nous sommes là pour deux mots
qui posent notre historicité avèrent notre temporalité nous mettent
en sonorité
résistance
résignation
ni l'un ni l'autre
et pourtant l'un et l'autre.
Il y a bien assurément une mélancolie postcoloniale, mais cette
nostalgie ne peut s'interpréter comme une forme de régression ou de
passéisme. C'est une question de douleur.
– Patrick Sultan*
1. Fêtes réunissant des groupes de chants et
danses au mois de juillet. [retour au texte]
2. « Petite île » en tahitien. [retour au texte]
3. Comme on le lit avec étonnement dans l'étude de Sylvie André, «
Les enjeux du corpus de la littérature francophone enseigné à
l'Université de la Polynésie Française à la lumière du TAUI »,
Transmission et théories des littératures francophones : Diversité
des espaces et des pratiques linguistiques (Bordeaux/Pointe-à-Pitre:
Presses Universitaires de Bordeaux & Editions Jasor, 2008): 152.
[retour au texte]
4. Il s'intitule « Des mots pour dire des maux : E tü e a tau e a
hiti noa atu / résistance et résignation », non publié. [retour au
texte]
5. Albert Memmi, Portait du colonisé, Paris: Gallimard, 1985, p.
153. [retour au texte]
* Ce texte de présentation de Chantal T. Spitz est adapté pour Île
en île, avec permission, de l'article de Patrick Sultan, « Peut-on
parler de "Littérature polynésienne francophone" ? ».