la légende du maiore

Il y a bien longtemps, bien avant l’arrivée des Blancs dans nos îles, une impitoyable sécheresse s’abattit sur notre Pacifique. Les arbres et les hommes se mouraient, brûlés par le soleil. Les grands cocotiers eux-mêmes laissaient pendre leurs larges palmes roussies, décharnés et abattus comme de grands oiseaux morts. Les tribus, décimées, agonisaient, levant les yeux vers un ciel qui semblait voué à un éternel été.
Blotti sous les grands pureau (arbre) de la plage, le petit faré (maison) avait su garder un peu de sa fraîcheur, au milieu de l’incendie de la terre et du ciel.

Allongée sur une natte de pandanus tressé, Moe rêvait, ses grands yeux noirs perdus vers une lointaine terre verte. La voyant si belle, Aratua, son fiancé, se mit à chanter pour elle, pour bercer son rêve et sa mélancolie :
« Moe, Moe, tu es belle comme la fleur du gardénia, belle comme une cascade sous un ciel d’étoiles. Ton sourire est plus nécessaire à mes yeux que ne l’est le fruit frais à la gorge du voyageur. Tes cheveux sont plus noirs que la plus noire des nuits, et aucune fleur n’a leur parfum. Tes lèvres sont une fleur rouge sur ton visage et ta gorge bat doucement comme un oiseau qui meurt.
» O Moe, Moe, mon bras a appris à manier le harpon dans l’eau blanche des récifs, et ma pirogue est la plus rapide et la plus légère.
» Mon épaule peut porter les plus lourds régimes de fruits pour te les offrir, et mon filet peut attraper les plus grands et les plus beaux poissons pour te les offrir.
» Mais qu’importe,ô Moe, puisque nous allons mourir. Ni ta beauté, ni mon bras, ni ma pirogue, ni mon filet, ne peuvent rien contre le soleil… »
Moe avait écouté son fiancé chanter. Et Moe ne voulait plus mourir. Elle voulait vivre, vivre avec Aratua. Alors, rejetant ses longs cheveux sur ses épaules brunes, elle se tourna vers lui :
- Je connais dans la montagne un sage vieillard, Taaroa. Le jour de ma naissance, il a dit à ma mère que je serai belle comme l’étoile du matin et que pour moi, il donnerait sa vie. Allons le trouver. Et ils partirent vers la montagne où vivait Taaroa.
La nouvelle de la promesse faite à Moe le jour de sa naissance s’était répandue à travers les tribus, comme l’appel d’un tambour au fond des vallées, et le petit faré sous les pureau était devenu un lieu de pèlerinage, où chacun venait chercher l’espoir.
Les deux jeunes gens marchaient dans la montagne, suivis par un long serpent humain d’hommes et de femmes, dont la lamentation montait dans l’air surchauffé comme une prière :
- O Moe, Moe…
Vers le soir apparut Taaroa.
Longue forme blanche dans sa robe de tapa (vêtement), sa grande barbe le couvrait de la tête au pieds. Appuyé sur une branche de citronnier sauvage dégarnie de ses épines, il dégageait une telle force tranquille, qu’à sa vue toutes les tribus comprirent que de lui viendrait leur salut.
Moe continua seule sa montée vers lui et s’arrête sur une roche haute, silhouette découpée sur le soleil couchant.
- Sage et vénéré vieillard, tu as promis à ma naissance que je serai belle comme l’étoile du matin et que pour moi, tu donnerais ta vie. Aujourd’hui, je veux vivre avec celui que j’aime. Aujourd’hui, nous voulons vivre.
- O Moe, je tiendrai ma promesse. Tu es belle comme l’étoile du matin, fraîche comme une fleur de gardénia et pour toi, je ferai la beauté éternelle.
» Tu aimes ce garçon qui te suit, et son cœur se soulève d’amour en te regardant. Pour toi, je ferai l’amour éternel.
» Tu veux vivre et pour toi, je ferai la vie éternelle.
» Et le miracle se réalisa. Le corps du sage Taaroa sembla se fondre dans l’air du soir qui montait des vallées. Ses bras s’allongèrent, devinrent branches et rameaux, qui se couvrirent de feuilles et de fruits; ses jambes s’incrustèrent dans le sol et devinrent racines ; tout son corps devint noueux comme le tronc des vieux arbres.
» Le prodige fut complet : l’eau se remit à couler dans les rivières et l’herbe, et les fleurs, et les arbres reverdirent à vue d’œil. C’est en chantant de joie que les tribus revinrent vers la mer, se baissant pour passer sous les branches de l’arbre, qui ployait sous les fruits.

» Voilà la légende du maiore (arbre à pain) = uru (fruit).

 

Illustration : Peinture à l'huile (30X40 cm) par Claudia Gacek : "La légende du maiore"

 

 

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Dernière date de mise à jour de cette page : le lundi 10 octobre 2016