En Polynésie où il semble aussi naturel de danser que de bouger, ou de marcher,
on ne peut ignorer que la danse appartient à toutes les civilisations.
De la préhistoire à l’antiquité, du moyen âge à aujourd’hui, la danse est le
langage par lequel le corps s’exprime avec des gestes, des mimiques, des
mouvements, des codes et des rythmes, propres à une culture. Outre son aspect
festif, son rôle éducatif parfois et sa capacité à communiquer et traduire des
émotions, la danse puise ses origines dans ce que nous avons de plus profond
(désir lié à un besoin de survie avec par exemple, la danse de la pluie en
Afrique)de plus secret ( pour
éloigner les mauvais esprits aux Antilles comme au Canada).et dans tout ce qui
compose l’essentiel de notre existence tel que, le jeu, l’amour, la fête, la
mort aussi.
Cependant, dans sa forme, la danse d’hier n’est plus la danse d’aujourd’hui car
elle s’est adaptée aussi souvent que l’homme à modifié son environnement, son
comportement social et ses codes d’expression. La danse évolue avec les
sonorités des musiques qui l’accompagnent,les lieux où elle se pratique : la danse évolue avec l’homme.
Moyen de communication ou d’expression culturelle, elle permet à son interprète,
de transposerun vécu, de magnifier
son quotidien, d’exprimer ses désirs, de refouler ses inhibitions, voir même, de
préparer une stratégie.
A Tahiti par exemple, elle était enseignée dans les « fare Ari’oi ». Ces
comédiens ambulants, auxquels on reconnaissait le droit de tenir des propos
libertins, enseignaient l’art de la danse comme on enseigne l’art de la guerre.
Les formations et les déplacements des danseurs correspondaient à des codes
précis dont nous avons gardé des traces dans les « Heiva » (formations
quadrillées et ordonnées des « ‘ote’a », cris et défis dans les « haka » ou
« fata »).
Le
« kapa » issu de la stratégie d’attaque des « Ruahine » qui se servaient de
plumes en guise d’appât au bout de leur hameçon (notamment au bout de leur
doigt) pour pêcher les champions, en est un autre exemple.
Grâce aux écrits des premiers navigateurs et des missionnaires qui ont pu
témoigner de l’omniprésence de la danse en Polynésie, que ce fut pour un
mariage, des échanges de courtoisie, la levée des « tabu » sur les ressources
vivrières, les fêtes saisonnières et autres, nous savons que depuis les temps
immémoriaux, la danse tahitienne ou « ori tahiti » a toujours marqué les fêtes
polynésiennes, ponctuant de son caractère tantôt festif, sacré ou guerrier, les
manifestations sociales, culturelles , ou religieuses.
Mais la danse, c’est aussi l’énergie de notre esprit qui transit par la pensée
et s’exprime par le corps pour créer son propre langage : c’est
l’animation de notre pensée restée muette aux yeux du monde.
Dans l’ancienne Egypte, la Grèceclassique et bien d’autres cultures indigènes,tribales ou occidentales comme en Polynésie, la danse fut de très bonne
heure un moyen de rendre hommage aux dieux, de se rapprocher du divin.
Dans
nos îles plus particulièrement où
jadis, certains villages célébraient le culte de « Oro » ou de « Tane », la
danse faisait partie intégrante des rituels (infanticide, sacrifices humains,
intronisation d’un nouveau roi) qu’ils pratiquaient en hommage aux dieux ou part
peur de représailles divines.
Cependant, si ces scènes et ces réjouissances de l’époque ne nous sont connues
que par l’écriture des premiers occidentaux, inspirés en premier lieu par les
danses qui étaient les manifestations les plus symboliques et les plus
marquantes des fêtes, il est malheureusement difficile d’appréhender cequ’était réellement le « ‘ori » de l’époque pré-européenne. Avec
l’arrivée des missionnaires, le « ori » tout comme les cultes et les rituels
auxquels la danse étaient associée, furent interdits et « Tabu ».
En 1817, le protestant William Ellis écrivait :
« leurs sauvages gesticulations, les gestes grotesques de leurs corps peints,
leurs vociférations, leurs chants accompagnés de flûte et de tambour,
représentaient un spectacle extravagant, grandiose dont il est difficile de se
faire une idée juste. »
En supprimant les anciens dieux et les cultes qui s’y rattachaient, pour les
remplacer par l’évangile, les missionnaires allaient « polléniser » la culture
« Maohi » en modifiant ses principes fondamentaux mais aussi et surtout, ses
codes c’est-à-dire sa langue et par relation de cause à effet : la danse.
Vers 1920, Teuira Henry notait :
« le ote’a a subi de telles influences que les danseurs de l’ancien temps ne le
reconnaîtraient pas. »
On le voit bien
aujourd’hui, nous nous sommes adaptés à cette nouvelle culture, nous nous sommes
construis un nouveau système de communication et d’échange qui se traduit de
façon concrète par un enrichissement de la langue primitive (nouveaux mots dans
le dictionnaire de la langue tahitienne) et une transformation de la danse.
Autrefois interdites, elles continuèrent d’être pratiquées. Acculturée, la danse
a traversé, subi etsurvécu à l’érosion du temps. A la fin du XIXe et au début du Xx e
siècle, les danses sortirent enfin de l’ombre, à la faveur du « Tiurai »(à noter
la mutation du sens de cette fête, Heiva en Tiurai, ainsi que de son état
d’esprit), à l’occasion des célébrations de la fête du 14 juillet. Elle en
ressort édulcorée,épurée, aseptisée et sans cesse réinventée, brandi parfois
comme une étiquette, comme pour se rassurer qu’il existe ou qu’il subsiste en
nous, une part d’authenticité qui nous relie à nos origines, notre passé, notre
identité : nos traditions.
Il est clair qu’aujourd’hui, la danse ne répond plus aux mêmes besoins.
En effet, même si elle conserve ses fondements, la danse évolue dans son
langage, dans sa forme et les messages qu’elle nous transmet.
De nos jours, le Heivaintroduit
de nouveaux règlements pour s’adapter aux besoins de notre époque en instituant
deux catégories de danse (« dite traditionnelle et création).
Elle s’enrichit de nouveaux codes, de nouveaux pas ainsi que de nouveaux gestes.
Elle est même pour certains,
devenue un moyen de séduction, de revendication, de provocation parfois etmême : d’envoûtement.
Le « aparima »,
danse lascive par excellence, en est le plus bel exemple.
Le « aparima »c’est la mise en
scène et la mise en gestuelle de la vie au quotidien. Il sublime le danseur,
la danseuse (comme c’est le cas lors des Heiva) et lui confère un pouvoir
qui traduit bien la fascination que la danse exerce sur nous.
La danse, plus qu’un moyen d’expression :
c’est le pouvoir des sens !
Exhiber sa
pudeur est désormais autorisé.
Autrefois
sacrée et exécutée en des lieux déterminés par les cultes, la danse est
aujourd’hui le symbole de l’émancipation et l’on assiste depuis à une
démocratisation de la danse et à sa propagation dans des lieux autres que les
« marae », (lieux de culte polynésien).
En Polynésie, la danse est rétablie dans ses lettres de noblesse, codifiée,
réglementée et enseignée avec ses réformes, ses transmutations : c’est le
renouveau du ‘ori tahiti.
Malheureusement,
cette reconquête de la danse sur l’histoire s’accompagne d’un nouveau débat qui
oppose les nouveaux aux anciens (comprendre : modernes et traditionalistes) qui
repose essentiellement sur la forme du ‘ori car dans le fond, l’authenticité, à
savoir la joie, la fusion avec la magie Polynésienne est restée intacte. En
fait, au propre comme au figuré : toute cette fièvre qu’a suscité et que
continue de susciter le ‘ori, n’est qu’une question de point de vue dont
l’aspect positif est de remarquer que la danse intéresse tout le monde, quelque
soit l’âge et ses origines.
Etait-il possible de conserver les danses telles qu’elles se pratiquaient
autrefois, seraient ellesaussi
insoutenables à nos yeux que jadis? Nous ne le saurons jamais !
Cependant, en sachant que la langue et la danse sont étroitement liés, il serait
intéressant de se demander en conclusion, s’il faut enfermer la danse dans un
carcan pour la préserver ou au contraire, faut-il l’ouvrir à l’évolution et
penser comme le grand peintre Degas qui s’exprimait sur la danse en disant :
« si les feuilles étaient immobiles, les arbres seraient infiniment tristes
et leur tristesse serait la nôtre » ?